26

Le Sarcophage

 

L’objet qu’on appelait désormais le Sarcophage se trouvait presque exactement au centre de la Cité Sans Nom. Il était profondément enfoui sous la grande place dans un des bâtiments les plus grands et les plus impressionnants qu’on pût trouver dans cette antique métropole souterraine. On accédait maintenant au cœur de la ville par une voie ferrée tout récemment mise en place. Les ingénieurs avaient profité du gel pour poser des rails là où ils n’auraient jamais pu le faire auparavant, par-dessus des rivières qui auraient emporté en un instant les piles et les pylônes si elles n’avaient été prises par les glaces, et au travers d’étendues de sable et de boue qui se seraient déplacées ou enfoncées au bout de quelques heures seulement si les rapides avaient encore rugi.

Après l’agitation fébrile de la tête de ligne – une station aménagée dans les profondeurs sous la grande place et éclairée par des arcs électriques, et dont l’importance du trafic aurait fait honneur au terminus ferroviaire d’une grande capitale –, on empruntait une avenue de vingt mètres de large bordée de machines sifflantes et rugissantes, de piles de tuyaux et de rouleaux de câbles, sur laquelle se pressaient des bêtes de somme, des animaux de combat convertis en bêtes de trait, des camions à vapeur et à huile, des petits trains à voie étroite et surtout, rang après rang et groupe après groupe, des ouvriers, des ingénieurs, des gardes et des spécialistes d’une centaine de catégories différentes.

Sur une vaste structure circulaire surélevée au milieu d’une douzaine de rampes et de voies faisant partie de la Cité Sans Nom d’origine, la grande avenue encombrée se divisait en une vingtaine de branches différentes. Des transporteurs à bande, des tramways et des téléphériques suivaient le tracé des voies, toutes éclairées par de petites lampes à huile, des becs de gaz sifflants et des lampes électriques crépitantes. Ce qui avait été la rampe la plus fréquentée – où l’on retrouvait les tapis roulants mais également des funiculaires avec des séries de marches irrégulières – franchissait un lac qu’on avait remblayé, puis devenait un large chemin constitué de planches épaisses menant au grand bâtiment contenant le Sarcophage.

Le torrent d’hommes, d’animaux, de machines et de matériel s’était engouffré par ce qui avait été une immense entrée ovale de cent mètres de large et de quarante de haut, flanquée d’une dizaine d’énormes sculptures représentant des Mondes Gigognes découpés, débouchant sur un atrium encore plus élevé dont la forme évoquait celle d’une bouche.

Ce torrent n’était plus qu’un mince filet quand Oramen et le groupe venu directement de la réunion qu’il avait tenue sous la grande tente descendirent dans les fouilles au cœur de la ville. Les travaux se concentraient désormais ailleurs, principalement sur les dix artefacts plus petits dont Oramen était allé examiner un exemplaire le jour où il avait failli périr dans l’attentat. Le cube noir en question faisait en ce moment l’objet des efforts les plus intenses du fait de l’effondrement partiel de la salle dans laquelle on l’avait découvert.

La salle centrale abritant le Sarcophage était assez semblable – quoique beaucoup plus grande – à celle du cube noir qu’Oramen avait vu. Après avoir évacué la terre, les sédiments et les divers débris qui s’étaient accumulés là au cours d’un nombre incalculable de siècles, les excavations avaient permis de dégager une énorme cavité à l’intérieur du bâtiment, révélant ce qui avait été en fait une immense arène de plus d’une centaine de mètres de large et non pas un simple espace créé par hasard à force de faire sauter des petites salles et d’élargir des brèches.

Au centre, brillamment éclairé par des arcs électriques et entouré d’échafaudages qui projetaient sur lui des ombres entrecroisées, était posé le Sarcophage lui-même : un cube gris pâle d’une vingtaine de mètres de côté, dont les sommets et les arêtes étaient légèrement arrondis. Pendant la vingtaine de jours qui avaient été nécessaires pour le dégager, un chaos organisé avait entouré l’artefact, un tourbillon d’hommes, de machines et d’activités au rythme des cris et des martèlements, des crépitements d’étincelles, des beuglements des animaux, des sifflements et des crachotements de vapeur et de gaz d’échappement. Mais maintenant, tandis qu’Oramen pouvait enfin le contempler, la salle entourant l’objet était calme et silencieuse, presque imprégnée d’une atmosphère de vénération, bien qu’il crût y déceler une certaine tension.

— Il ne semble pas bien actif, vu d’ici, dit-il.

Poatas et lui, entourés de gardes, se tenaient à l’entrée principale de la salle, une large arcade située dix mètres au-dessus de la base d’une sorte de vasque au centre de laquelle, sur une plate-forme circulaire surélevée de cinq mètres, était posé le Sarcophage.

— Eh bien, dit Poatas, vous devriez aller l’observer de plus près.

Oramen lui sourit.

— C’est précisément ce que nous allons faire, monsieur Poatas.

Ils s’approchèrent de l’artefact. Sous bien des aspects, Oramen le trouvait moins impressionnant que le cube noir auquel il s’était intéressé précédemment. La salle était beaucoup plus grande et lui semblait moins oppressante – ce qui était sans doute dû en partie à l’absence de vacarme –, et l’objet lui-même, bien que nettement plus grand que l’autre, paraissait moins intimidant tout simplement parce que sa teinte grise semblait moins menaçante que le noir absolu qui l’avait tant repoussé et fasciné à la fois. Le Sarcophage était néanmoins très grand, et comme il le voyait cette fois-ci d’en bas et non d’en haut, il lui donnait l’impression d’être encore plus massif.

Il se demanda s’il souffrait encore des séquelles de ses blessures. Il aurait pu passer encore un jour au lit. Ses médecins le lui avaient recommandé, mais il n’avait pas voulu risquer de perdre la confiance du peuple, et particulièrement celle des anciens soldats du Campement. Il s’était senti obligé de se lever, de se montrer, de leur parler, et ensuite – quand le messager avait apporté la nouvelle que le Sarcophage donnait des signes d’activité – il n’avait pas eu d’autre choix que d’accompagner Poatas et ses collaborateurs les plus proches jusqu’au centre des excavations. Il se sentait le souffle court, il était endolori dans plus d’endroits qu’il n’aurait su compter, et il avait mal à la tête. De plus, il avait toujours ce bourdonnement dans les oreilles et il avait parfois du mal à comprendre ce que les gens disaient, comme s’il était déjà un vieillard, mais il faisait de son mieux pour donner l’impression d’être en excellente forme.

En s’approchant du Sarcophage, il eut l’impression qu’il en émanait une aura de solidité parfaite, une sorte d’impassibilité écrasante, et même une présence intemporelle, comme si cet objet avait vu se dérouler des âges et des époques inconcevables pour l’esprit humain, tout en faisant partie, d’une certaine façon, du futur plutôt que du passé.

Oramen disposait à présent d’une garde personnelle improvisée, constituée d’anciens soldats à l’allure redoutable qui s’étaient groupés autour de lui après son discours sous la tente. Ils avaient l’air inquiets, mais Oramen sut les convaincre qu’il serait en sécurité sur l’échafaudage avec seulement deux ou trois gardes pour veiller sur lui. Dubrile, un homme grisonnant au visage sévère, vétéran de nombreuses campagnes du roi Hausk – au cours desquelles il avait perdu un œil –, et que la troupe de soldats qui s’étaient ralliés à Oramen semblait avoir choisi comme chef, ordonna à ses hommes de désigner deux d’entre eux pour l’accompagner afin d’assurer la protection du prince.

— Ce n’est pas vraiment nécessaire, vous savez, dit Poatas à Oramen tandis que les gardes se concertaient. Ici, vous ne courez aucun danger.

— C’est ce que je me disais il y a trois jours, dit Oramen en souriant, quand je suis allé examiner l’autre objet. (Son sourire s’effaça et il baissa la voix pour ajouter :) Et essayez de vous souvenir, Poatas, que lorsque vous m’adressez la parole, vous dites « seigneur », aussi bien devant les hommes que quand nous sommes seuls. (Son sourire réapparut.) Après tout, il y a des formes à respecter.

On aurait dit que Poatas venait de découvrir un étron gelé dans sa culotte. Il se redressa de toute sa taille, sa canne tremblant dans sa main comme s’il s’appuyait sur elle plus que d’habitude, puis il hocha la tête et dit d’une voix un peu étranglée :

— Ma foi, oui, tout à fait, seigneur.

Les deux gardes étant maintenant désignés, Oramen se tourna vers l’énorme objet gris et dit :

— Eh bien, si nous y allions, maintenant ?

Ils gravirent les rampes jusqu’à un endroit situé au centre de l’une des faces du cube où s’activaient une douzaine d’hommes vêtus de blouses blanches impeccables, cachés du reste de la grande salle par des bâches grises tendues sur l’échafaudage. Des batteries de machines délicates à l’aspect mystérieux étaient posées sur la plate-forme, ainsi que des instruments d’une sophistication dépassant manifestement les capacités des Sarles aussi bien que celles des Deldeynes. Tous ces appareils semblaient reliés les uns aux autres par de minces fils et des câbles de différentes couleurs. Même ces connexions semblaient technologiquement très avancées, presque aliènes.

— D’où vient tout ceci ? demanda Oramen en indiquant cet équipement.

— Nous l’avons obtenu des Octes, dit Poatas avec une jubilation manifeste. Seigneur, ajouta-t-il avec une petite grimace involontaire.

Il alla se placer entre Oramen et l’équipe en blouse blanche. Oramen vit Dubrile se glisser derrière lui, peut-être au cas improbable où Poatas chercherait à précipiter le Prince Régent en bas de l’échafaudage. Poatas fronça les sourcils, mais il poursuivit en baissant la voix au point que ce n’était plus qu’un murmure :

— Les Octes ont manifesté un regain d’intérêt pour nos fouilles et se sont montrés fort désireux de nous aider quand ils se sont rendu compte que nous avions découvert des objets aussi avancés. Seigneur.

Oramen réfléchit un instant.

— J’imagine qu’ils ont l’accord de leurs mentors nariscenes.

— Je dirais, seigneur, qu’on peut toujours imaginer ce qu’on veut, dit doucement Poatas. À ce que j’ai compris de certains marchands qui commercent avec eux, les Octes seraient prêts à nous aider encore bien davantage, si seulement nous les laissions faire. Seigneur.

— Ah, vraiment ?

— Les Deldeynes ont repoussé ces offres lorsqu’ils dirigeaient les fouilles. Comme sur le Huitième, l’influence des Octes ici ne peut excéder ce que les dirigeants du niveau sont prêts à accepter, et les Deldeynes, menés par les anciens moines de la Mission, ont refusé cette aide, en invoquant une question d’amour-propre et une interprétation par trop littérale des Articles d’Habitation, que ceux qui sont peut-être désireux de se limiter ainsi que leur peuple dans leur désir et leur droit naturel de progresser sur un plan aussi bien technique que moral, un droit qu’assurément tout…

— Assez, Poatas, assez, dit calmement Oramen en donnant une petite tape sur l’épaule du vieil homme grisonnant.

Celui-ci, dont la voix et le comportement étaient devenus plus agités et fébriles à mesure qu’il débitait d’une traite cette phrase interminable, se tut aussitôt, l’air chagriné et choqué.

— Et maintenant, Poatas, dit Oramen d’une voix plus forte pour que tous puissent de nouveau l’entendre, montrez-moi donc ce qui a conduit ma petite réunion à une conclusion aussi abrupte.

— Bien sûr, seigneur, murmura Poatas.

Il s’éloigna en clopinant pour aller parler à deux des techniciens.

— Seigneur, dit l’un des hommes en blouse blanche à Oramen, si vous voulez bien…

Le technicien était un homme d’une quarantaine d’années au teint blafard. Il paraissait nerveux, mais également excité et plein d’énergie. Il fit signe à Oramen de se placer à un endroit bien précis de la plate-forme, juste devant un panneau du Sarcophage qui semblait un peu plus clair que le reste du cube.

— Seigneur, dit Poatas, permettez-moi de vous présenter le Chef Technicien Leratiy.

Un autre homme s’inclina devant Oramen. Il avait une carrure plus imposante, mais il était tout aussi blafard. Sa tenue semblait de meilleure qualité et mieux taillée que celle de ses collègues.

— Prince Régent. C’est un grand honneur, seigneur. Mais je dois toutefois vous prévenir que l’effet d’être… lu, d’une certaine façon, et de voir ensuite des images… (L’homme sourit.) Ma foi, il vaut mieux vous rendre compte par vous-même. Je ne peux pas vous dire précisément à quoi vous attendre, car pour l’instant, tous ceux qui ont vécu cette expérience ont éprouvé quelque chose d’assez différent, bien que certains thèmes communs semblent prédominer dans les résultats. Ce serait de toute façon une erreur de ma part que de vous influencer. Si vous voulez bien simplement vous efforcer de vous souvenir de ce que vous aurez ressenti, et accepter d’en faire part à l’un de nos techniciens enregistreurs, je vous en serai infiniment reconnaissant. Avancez, je vous prie : le point focal se trouve apparemment ici.

Un carré avait été tracé sur les planches de la plate-forme. Oramen alla s’y placer. L’un des techniciens s’approcha avec une sorte de petite boîte plate, mais le Chef Technicien Leratiy l’écarta d’un geste impérieux.

— Le Prince Régent est suffisamment grand, marmonna-t-il. (Et après s’être assuré que les pieds d’Oramen étaient bien dans le carré, il ajouta :) Seigneur, si vous voulez bien vous tenir comme cela un instant. (Il sortit une grosse montre de gousset et l’examina.) Le processus démarre généralement au bout de trente secondes. Avec votre permission, seigneur, je vais chronométrer l’expérience.

Oramen lui fit un simple signe de tête. Avec curiosité, il regarda la tache gris clair devant lui.

Pendant quelques instants, il ne se passa rien. Il commença à se demander si tout cela n’était pas une blague, ou même une nouvelle tentative alambiquée pour l’assassiner. Il se tenait à un endroit de toute évidence soigneusement choisi. Le fusil d’un assassin était-il précisément braqué sur lui en ce moment même, peut-être à travers les bâches grises qui isolaient cette partie de la plate-forme du reste de la salle ?

Le début de son expérience se manifesta par un léger sentiment de vertige. Pendant un court instant, il se sentit bizarrement déséquilibré, puis le vertige lui-même sembla le stabiliser, comme s’il compensait les effets mêmes qu’il produisait. Il éprouva une étrange sensation tout à la fois de légèreté et d’indifférence, et l’espace d’un instant, il ne sut plus qui il était ni quand, ni combien de temps il avait été il ne savait où… Puis la conscience lui revint complètement, mais il sentit comme une sorte de torrent couler dans son esprit, un mélange cacophonique de tout ce qu’il avait pu voir, entendre, sentir et apprendre dans sa vie.

Il était comme un homme assis dans une pièce ensoleillée qui regarderait passer au-dehors un joyeux défilé de tous les aspects de sa vie depuis sa naissance, chacun ne restant qu’une seconde à peine devant ses yeux, mais lui permettant cependant de reconnaître les épisodes et les fragments individuels de cette existence dont il avait oublié la plus grande partie.

Et puis le désir, ardent et douloureux. Le désir d’une mère perdue, d’une couronne et de tout un royaume ; le désir d’être aimé de tous, le désir que revienne une sœur partie depuis si longtemps ; le chagrin de la perte d’un frère, et le désir impossible de retrouver l’amour, le respect et l’approbation d’un père défunt…

Il sortit du carré, mettant aussitôt fin à sa transe.

Il respira profondément, puis il se tourna vers le Chef Technicien Leratiy et lui dit, après avoir réfléchi un instant :

— Vous pourrez informer votre technicien que j’ai éprouvé un sentiment de perte et un profond désir, tous deux exprimés en termes d’expérience personnelle. (Il balaya du regard les hommes réunis sur la plate-forme, qui tous l’observaient. Il y eut quelques sourires un peu nerveux. S’adressant de nouveau au Chef Technicien, Oramen conclut :) Une expérience intéressante. J’imagine que ce que j’ai ressenti est similaire à ce que les autres ont eux-mêmes éprouvé ?

— Oui, confirma Leratiy. Sentiment de perte, désir, ce sont bien là les émotions partagées, seigneur.

— Et vous pensez que cela suffit à démontrer que cet objet est d’une certaine façon vivant ? demanda Oramen en jetant un coup d’œil vers le cube gris.

— Il fait quelque chose, seigneur, intervint Poatas. Après être resté enfoui pendant si longtemps, c’est parfaitement ahurissant en soi. Aucun autre objet trouvé dans les fouilles ne s’est jamais comporté de cette manière.

— Il est possible qu’il fonctionne comme pourrait le faire une roue à eau ou un moulin à vent qu’on aurait déterré, suggéra Oramen.

— Nous pensons qu’il s’agit d’un peu plus que cela, dit Leratiy.

— Eh bien, maintenant, qu’envisagez-vous comme prochaine étape ?

Leratiy et Poatas échangèrent un regard.

— Nous pensons, seigneur, dit le Chef Technicien, que cet objet tente de communiquer, mais qu’il ne peut le faire pour l’instant qu’à travers des images rudimentaires, correspondant aux émotions les plus fortes que l’âme humaine puisse éprouver, tels que le sentiment de perte et le désir, par exemple. Nous pensons qu’il devrait être possible d’aider cet objet à mieux communiquer en lui enseignant tout simplement un langage.

— Quoi ? Nous allons devoir lui parler comme à un bébé ? demanda Oramen.

— S’il était capable d’entendre et de parler, seigneur, dit Leratiy, il aurait déjà essayé de le faire. Bien avant que nous ne découvrions cette étrange propriété dont vous avez fait l’expérience, plus d’une centaine d’ouvriers, d’ingénieurs, de techniciens et d’autres experts ont bavardé à proximité.

— Comment faire, alors ? demanda Oramen.

Leratiy s’éclaircit la gorge.

— Le problème auquel nous sommes confrontés, seigneur, est sans précédent dans notre histoire, mais ce n’est pas le cas pour d’autres. Il s’est déjà posé bien des fois au fil des éons, et dans de multiples civilisations qui ont trouvé d’innombrables reliques et artefacts similaires. Il existe des techniques éprouvées et très efficaces utilisées par de nombreux peuples, à commencer par les Optimae, auxquelles on pourrait avoir recours pour communiquer avec ce genre d’objet.

— Vraiment, fit Oramen. (Il dévisagea les deux hommes.) Avons-nous accès à de telles méthodes ?

— Indirectement, oui, seigneur, répondit Poatas. Si nous le souhaitons, nous pourrions disposer d’un Apprentisseur.

— Un Apprentisseur ? répéta Oramen.

— Nous devrions nous reposer sur les Octes pour qu’ils fournissent et fassent fonctionner l’équipement nécessaire, seigneur, dit Leratiy. Mais bien sûr, ajouta-t-il précipitamment, ces opérations se dérouleraient sous notre surveillance la plus vigilante. Tout serait dûment noté, enregistré, analysé et archivé. Au cas où de telles circonstances se reproduiraient dans l’avenir, nous pourrions bien être capables d’utiliser directement les mêmes techniques. Ainsi, le bénéfice que nous en retirerions serait double, ou plus encore.

— Nous considérons tous les deux, dit Poatas en jetant un coup d’œil au Chef Technicien, qu’il est de la plus grande importance…

— Encore une fois, l’interrompit Oramen, ce type de transfert technologique, cette sorte d’assistance, ne sont-ils pas strictement interdits ?

Il regarda les deux hommes tour à tour. Ils semblaient embarrassés et échangeaient des regards furtifs.

Leratiy s’éclaircit une nouvelle fois la gorge.

— Les Octes affirment que si c’est eux qui utilisent le matériel, alors, dans la mesure où la technique s’applique à un objet qui, de fait, leur appartient, la réponse est non. Ce n’est pas interdit.

— Tout à fait, dit Poatas en relevant le menton d’un air de défi.

— Ils prétendent que cette chose leur appartient ? demanda Oramen en regardant le cube.

Voilà qui était nouveau.

— Pas de façon formelle, seigneur, répondit Leratiy. Ils reconnaissent l’antériorité de nos droits. Mais ils pensent que cet artefact pourrait faire partie de leur ancien héritage, et ils manifestent un profond intérêt à son égard.

Oramen regarda autour de lui.

— Je ne vois aucun Octe dans cette salle. Comment savez-vous tout cela sur eux ?

— Ils sont entrés en communication avec nous par l’intermédiaire d’un émissaire spécial du nom de Savide, seigneur, dit Poatas. Il est venu dans cette salle à deux ou trois reprises, et nous a prodigué quelques conseils.

— Je n’en ai pas été informé, fit observer Oramen.

— Vous étiez blessé, seigneur, et cloué au lit, répondit Poatas en examinant un instant le plancher.

— Ah, je vois, c’est donc si récent que ça, dit Oramen.

Poatas et Leratiy lui firent un sourire.

— Messieurs, dit Oramen en leur souriant à son tour, si vous jugez que nous devrions autoriser les Octes à nous aider, eh bien, laissons-les faire. Demandez-leur d’apporter leurs merveilleux appareils, leurs Apprentisseurs, mais faites tout votre possible pour apprendre comment ils fonctionnent. Êtes-vous satisfaits ? demanda-t-il.

Les deux hommes semblèrent à la fois surpris et ravis.

— Tout à fait, seigneur ! s’exclama le Chef Technicien.

— Seigneur ! dit Poatas en inclinant la tête.

 

*

* *

 

Oramen passa le reste de la journée à mettre en place ce qui équivalait en fait à l’organisation d’un véritable petit État. Ou du moins, il regarda d’autres gens faire ce travail de mise en place. Ils s’activaient en particulier à reconstituer une armée, prenant d’anciens soldats devenus terrassiers pour en faire de nouveau des soldats. Ce n’étaient pas les hommes qui manquaient, mais les armes : la plupart de celles qui avaient équipé l’armée étaient entreposées dans des arsenaux à Pourl. Ils allaient donc devoir tirer le meilleur parti de ce qu’ils avaient. La situation devrait s’améliorer un peu, car quelques ateliers du Campement convertissaient déjà leurs forges et leurs machines à la fabrication d’armement, qui ne serait toutefois pas de la meilleure qualité.

Les hommes à qui il avait confié la responsabilité de superviser ces opérations étaient tous d’un grade relativement modeste. Sa première décision, ou presque, avait été de rassembler tous les officiers supérieurs que tyl Loesp avait mis en place, y compris le général Foise, et de les envoyer à Rasselle, soi-disant en délégation pour expliquer ses actions, mais en réalité uniquement pour se débarrasser de gens à qui il n’était plus certain de pouvoir faire confiance. Certains de ses conseillers l’avaient mis en garde contre le renvoi à l’ennemi d’officiers compétents et bien au courant des forces et faiblesses de ses troupes, mais Oramen n’avait pas été convaincu que ce fût une raison suffisante pour les autoriser à rester ici, et l’idée de les emprisonner le rebutait.

Foise et les autres étaient donc partis quelques heures plus tôt à bord d’un train, sans enthousiasme mais disciplinés. Un autre train était parti une demi-heure plus tard, chargé de soldats fidèles à Oramen pourvus de larges stocks d’explosifs. Leur mission était de miner et de garder tous les ponts situés entre les Chutes et Rasselle qui soient accessibles sans déclencher pour autant les hostilités.

Oramen quitta la réunion de planification dès qu’il put décemment le faire et retourna dans sa voiture pour une sieste bien nécessaire. Les médecins insistaient encore pour qu’il prenne quelques jours de repos, mais il ne pouvait se le permettre. Il dormit une heure, puis il alla rendre visite à Droffo qui se rétablissait lentement dans le train-hôpital principal.

— Vous avez donc agi rapidement, prince, lui dit Droffo.

Il était encore couvert de bandages et paraissait hagard. On avait laissé les blessures de son visage se cicatriser à l’air après les avoir nettoyées, mais deux ou trois sur la joue avaient nécessité des points de suture.

— Foise est parti sans faire d’histoires ? poursuivit-il. (Il secoua la tête en grimaçant.) Il va probablement comploter avec tyl Loesp.

— Tu crois qu’ils vont nous attaquer ? demanda Oramen.

Il était assis sur une chaise de toile au chevet de Droffo dans son compartiment privé.

— Je ne sais pas, prince, dit Droffo. A-t-on des nouvelles de tyl Loesp ?

— Aucune. Il n’est même pas à Rasselle. Si ça se trouve, il n’est pas encore au courant.

— À votre place, je me méfierais s’il proposait une rencontre. Voilà au moins une chose dont je suis sûr.

— Tu crois qu’il est personnellement derrière toute cette affaire ?

— Qui d’autre voulez-vous que ce soit ?

— Je pensais, peut-être… des gens de son entourage ?

— Qui, par exemple ? dit Droffo.

— Bleye ? Tohonlo ? Des gens comme ça.

Droffo secoua la tête.

— Ils ne sont pas assez malins.

Oramen n’avait pas d’autres noms en tête, sauf peut-être le général Foise. En tout cas, certainement pas Werreber. Quant à Chasque, il n’en était pas sûr, mais l’Exaltine n’avait aucun lien avec les subalternes de tyl Loesp : il était pour ainsi dire situé à part. Oramen avait l’habitude de voir d’autres gens autour de tyl Loesp – des officiers et des fonctionnaires, pour la plupart –, mais effectivement, maintenant que Droffo le faisait remarquer, il avait peu de compagnons réguliers et identifiables. Il avait bien des fonctionnaires, des laquais, ceux qui accomplissaient ses volontés, mais pas vraiment d’amis ni de confidents. Oramen s’était toujours dit qu’il devait bien en avoir, mais il ne les connaissait pas. Peut-être qu’ils n’existaient pas du tout.

Oramen haussa les épaules.

— Mais quand même, tyl Loesp… ? dit-il en fronçant fortement les sourcils. Non, je ne peux pas…

— Vollird et Baerth étaient des hommes à lui, Oramen.

— Je sais.

— A-t-on des nouvelles de Vollird ?

— Non, aucune. Il a complètement disparu. Encore un fantôme qui hante les fouilles.

— Et c’est également tyl Loesp qui vous avait recommandé Tove Lomma, n’est-ce pas ?

— Tove était un vieil ami, dit Oramen.

— Mais qui devait sa promotion à tyl Loesp. Soyez simplement prudent.

— Je le suis devenu, même si c’est un peu tard.

— Cette chose, là, le Sarcophage. Est-ce vraiment tout ce qu’on en dit ?

— Il semble communiquer. Les Octes veulent essayer de lui apprendre à parler, dit Oramen. Ils ont une sorte d’appareil qu’ils appellent un Apprentisseur, dont les Optimae se servent pour parler aux objets curieux qu’ils déterrent.

— C’est peut-être un oracle, dit Droffo avec un petit sourire en coin qui étira ses points de suture. (Il fit une autre grimace.)

Demandez-lui donc ce qui va se passer maintenant.

Ce qui se passa fut que, deux tours d’équipe plus tard, c’est-à-dire le lendemain, tyl Loesp envoya un message télégraphique depuis Rasselle disant qu’il s’agissait forcément d’un affreux malentendu. Vollird et Baerth devaient avoir été eux-mêmes victimes d’un complot, et des personnes non identifiées cherchaient manifestement à monter le Prince Régent et le Régent l’un contre l’autre pour leurs propres fins innommables. Tyl Loesp estimait préférable qu’Oramen et lui se rencontrent à Rasselle pour en discuter, s’assurer encore une fois de leur amour et respect mutuels, et organiser les choses afin d’éviter dans l’avenir toute action irréfléchie ou accusation indirecte dénuée de fondement.

Après avoir consulté Droffo ainsi que Dubrile et la demi-douzaine de jeunes officiers qui étaient devenus ses conseillers – des hommes acclamés par leurs troupes plutôt que des obligés de tyl Loesp –, Oramen répondit qu’il était prêt à rencontrer tyl Loesp ici, aux Chutes, et que le Régent ne devrait être accompagné que d’une dizaine d’hommes équipés uniquement d’armes légères.

Ils attendaient toujours la réponse.

Et puis, au milieu de ce que la plupart des gens considéraient comme la nuit, la nouvelle leur parvint que le Sarcophage parlait, et que les Octes étaient apparus en force dans la salle qui l’entourait, venus à bord de sous-marins qui avaient trouvé ou creusé dans la Sulpitine des canaux encore remplis d’eau liquide. Il était difficile pour l’instant de savoir s’ils s’étaient ou non emparés des lieux – apparemment, les travaux se poursuivaient normalement –, mais il y en avait un nombre sans précédent, et ils exigeaient de voir tyl Loesp ou la personne responsable du site.

— Je croyais qu’ils ne venaient que pour se servir de cette machine à enseigner les langues, dit Oramen en s’habillant.

Chaque mouvement des bras ou des jambes le faisait grimacer de douleur. Neguste lui tendit sa veste et l’aida à l’enfiler.

Droffo, qui pouvait maintenant se déplacer bien qu’il fût encore loin d’être rétabli, et qui avait intercepté le messager qui apportait la nouvelle, tendit à Oramen son épée de cérémonie de sa main valide. Il avait l’autre bras en écharpe.

— Peut-être que quand l’objet a parlé, il a dit quelque chose de désagréable, suggéra-t-il.

— Il aurait pu choisir un moment plus agréable, en tout cas, dit Oramen en passant son ceinturon.

 

*

* *

 

— Par le DieuMonde Tout-Puissant, dit Oramen quand il vit l’intérieur de la grande salle au cœur de la Cité Sans Nom.

Droffo et lui s’arrêtèrent net. Neguste, qui suivait derrière – bien décidé à ne plus lâcher son maître d’une semelle pour être sûr de subir le même sort que lui, et de ne plus jamais être soupçonné de lâcheté ou de traîtrise –, ne s’arrêta pas à temps et se cogna contre eux.

— Je vous prie de me pardonner, messeigneurs, dit-il avant d’apercevoir à son tour l’intérieur de la salle. Par ma foi, que le DieuMonde me patafiole… ajouta-t-il le souffle coupé.

Il y avait des centaines d’Octes dans la grande salle. Des corps bleus luisaient dans la lumière, et des milliers de membres rouges brillaient comme s’ils venaient juste d’être astiqués. Ils entouraient entièrement le Sarcophage, répartis en cercles concentriques. On aurait dit des fidèles prostrés dans leurs dévotions, et même dans l’adoration. Les créatures étaient toutes apparemment immobiles et on aurait pu les croire mortes si elles n’avaient été disposées d’une façon aussi parfaitement régulière. Toutes avaient le corps enveloppé du même genre d’armure que celle qu’avait portée l’Ambassadeur Kiu. Oramen décela la même odeur que ce jour où il avait appris que son père était mort, il y avait bien des mois de cela. Il se souvint d’avoir croisé l’Ambassadeur Kiu en se rendant aux écuries, et de cette même odeur étrange. Elle avait été faible ce jour-là, mais elle était très puissante aujourd’hui.

Les gardes personnels d’Oramen, commandés par Dubrile, se rassemblèrent aussitôt autour de lui pour former un rempart sans faille. Ils m’entourent, songea Oramen, tandis que les Octes entourent cet objet… Mais pourquoi ? Les gardes étaient eux-mêmes distraits par le spectacle de tous ces Octes, et regardaient nerveusement autour d’eux tout en prenant position.

Des techniciens en blouse blanche continuaient de s’affairer dans la salle et sur les échafaudages, apparemment indifférents à la présence des Octes. Sur la plate-forme où Oramen avait vécu cette tentative de communication de la part du Sarcophage, on avait retiré les bâches de sorte qu’on pouvait maintenant voir ce qui s’y passait. Deux Octes s’y tenaient, en compagnie de quelques humains vêtus de blanc. Oramen crut reconnaître Leratiy et Poatas dans ce groupe.

Un garde était en train de faire son rapport à Dubrile, qui salua Oramen et lui dit :

— Seigneur, les Octes sont simplement apparus comme ça. Leurs vaisseaux sont quelque part derrière les glaces des Chutes. Ils se sont frayé un chemin en les faisant fondre. Ils sont entrés dans la salle, certains en passant par ici, d’autres en flottant du haut des murs. Les gardes n’ont pas su quoi faire. Nous n’avons jamais pensé à donner des instructions pour ce genre de circonstances. Les Octes ne sont apparemment pas armés, ce qui fait que nous contrôlons encore les choses, mais ils refusent de s’en aller.

— Merci, Dubrile, dit Oramen. (Du haut de la plate-forme, Poatas lui faisait de grands signes.) Allons voir ce qui se passe, voulez-vous ?

 

*

* *

 

— Oramen-homme, prince, dit l’un des Octes quand Oramen arriva sur la plate-forme. (Sa voix était comme un bruissement de feuilles mortes.) De nouveau. Comme les rencontres se rencontrent dans le temps et les espaces. Comme nos ancêtres les Involucrae, bénis soient-ils, qui n’étaient plus, pour nous toujours étaient, et maintenant sont de nouveau sans démenti, ainsi nous nous rencontrons une fois encore. Ne pensez-vous pas ?

— Ambassadeur Kiu ? demanda Oramen.

L’ambassadeur et l’autre Octe flottaient devant le panneau gris clair du cube. Poatas et le Chef Technicien Leratiy se tenaient un peu plus loin, avec sur leur visage une expression d’excitation à peine contrôlée. On aurait dit, pensa Oramen, qu’ils étaient impatients de l’informer de quelque chose.

— J’ai ce privilège, dit l’ambassadeur Kiu-à-Pourl. Et à lui je vous présente : Savidius Savide, Émissaire Spécial Péripatétique sur Sursamen.

L’autre Octe se tourna légèrement vers Oramen.

— Oramen-homme, Prince de Hausk, Pourl, dit-il.

Oramen le salua en inclinant la tête. Dubrile et trois de ses gardes s’étaient placés aux quatre coins de la plate-forme, qui commençait à être bien encombrée.

— Je suis ravi de vous rencontrer, Émissaire Savidius Savide. Bienvenue, mes amis, ajouta-t-il. Puis-je vous demander la raison qui vous amène ici ? (Il se retourna pour regarder les centaines d’Octes disposés en cercles brillants autour du Sarcophage.) Et en si grand nombre ?

— La grandeur, prince, dit Kiu en flottant plus près d’Oramen. (Dubrile s’apprêtait à s’interposer mais Oramen l’arrêta d’un geste de la main.) Grandeur sans égale !

— Une occasion d’une telle importance que nous sommes comme rien ! dit l’autre Octe. Ceux-là, présents, nos camarades, nous deux. Nous ne sommes rien, témoins inadéquats, acolytes indignes, totalement insuffisants ! Néanmoins.

— Méritants ou pas, ici nous sommes, dit Kiu. De privilège incompréhensible cela est pour tous présents. Nous vous remercions sans limites pour tel. Vous nous placez éternellement en votre dette. Aucune des vies vécues jusqu’à la fin des temps par des billions, des trillions d’Octes ne pourrait acquitter notre chance d’être témoins.

— Témoins ? dit doucement Oramen en souriant avec indulgence. Témoins de quoi ? Du fait que le Sarcophage a parlé ?

— Il a parlé, seigneur ! dit Poatas en s’avançant et en agitant sa canne vers la partie gris pâle à la surface du cube. (Puis il désigna l’un des appareils posés sur un grand chariot à roulettes.) Cet instrument a simplement projeté des images et des sons, ainsi qu’une série de vagues invisibles à travers l’éther, à la surface de ce que nous avons appelé le Sarcophage, et il a parlé ! En sarle, en deldeyne, en octe et dans plusieurs autres langages des Optimae. Au début, il ne s’agissait que de répétitions, et nous étions déçus, pensant qu’il se contentait d’enregistrer et de restituer, sans aucun esprit conscient, mais ensuite… Ensuite, prince, il s’est exprimé avec sa propre voix ! (Poatas se tourna vers le carré gris clair et s’inclina profondément devant lui.) Seigneur, accepterez-vous de céder encore une fois à nos caprices ? Notre personnage le plus important est présent parmi nous : un prince de la maison royale qui commande deux niveaux, et qui dirige les opérations ici.

— Le voir ? fit une voix sortant du carré gris.

Cette voix était comme un long soupir, comme si chaque syllabe était lentement projetée.

— Venez, seigneur, venez ! dit Poatas en faisant signe à Oramen de s’avancer. Il souhaite vous voir. Ici, seigneur, au même point focal qu’avant.

Oramen ne bougea pas.

— Seulement pour être vu ? Pourquoi encore dans ce carré ?

Il craignait que cette chose, maintenant qu’elle semblait avoir acquis une voix, n’ait encore besoin de lire dans les pensées.

— Vous êtes le prince ? dit la voix sur un ton égal.

Oramen fit un pas de côté de sorte que si ce carré gris avait été une fenêtre, il aurait pu être visible pour quelqu’un situé à l’intérieur, mais il ne posa pas le pied dans le point focal.

— Oui, je suis le prince, dit-il. Je m’appelle Oramen. Fils du défunt roi Hausk.

— Vous vous méfiez de moi, prince ?

— L’expression est un peu forte, dit Oramen. Disons que vous m’étonnez. Vous devez être quelque chose de tout à fait remarquable et étrange pour avoir été enterré si longtemps et être cependant encore vivant. Puis-je vous demander votre nom ?

— Si rapidement nous en venons à regretter. Mon nom, comme tant d’autres choses, est perdu pour moi. Je cherche à le retrouver, comme tant d’autres choses.

— Comment vous y prendriez-vous ? demanda Oramen.

— Il y a d’autres parties. Des parties de moi, m’appartenant. Dispersées. Ensemble, apportées, je pourrais redevenir entier. C’est tout ce qui m’importe à présent, tout ce qui me manque, tout ce que je désire ardemment.

Le Chef Technicien Leratiy s’avança.

— Nous pensons, seigneur, que certains des autres cubes, les plus petits, sont des stockages contenant les souvenirs de cette créature, et peut-être d’autres facultés encore.

— Ils ont dû être placés à proximité, mais pas juste à côté, vous comprenez, seigneur, dit Poatas. Afin de s’assurer que certains survivraient.

— Tous les cubes ? demanda Oramen.

— Non, pas tous, je crois, mais je ne peux pas encore savoir, dit la voix en un long soupir. Trois ou quatre, peut-être.

— Certains autres n’ont peut-être qu’une fonction symbolique, ajouta Poatas.

— Qu’êtes-vous donc, alors ? demanda Oramen au Sarcophage.

— Qu’est-ce que je suis, prince ?

— À quel peuple appartenez-vous ? À quelle espèce ?

— Mais voyons, gentil prince, je suis un Involucra. Je suis ce que vous appelez parfois, je crois, le « Voile ».

— Notre ancêtre a survécu ! s’écria Savidius Savide. Le Voile, ceux qui nous ont faits aussi bien que tous les Mondes Gigognes sont, en un seul être, revenus, pour nous bénir, bénir tous mais nous bénir nous, les Octes, qui sommes véritablement et indéniablement les Héritiers !

 

*

* *

 

Dans la Grande Salle Impériale, Mertis tyl Loesp commençait à s’impatienter. Il se sentait harcelé par la meute de conseillers et d’officiers supérieurs qui insistaient pour lui prodiguer leurs conseils. Il avait remis ses vêtements sarles, avec la cotte de mailles, le tabard et le baudrier, laissant de côté la tenue civile plus délicate des Deldeynes, mais il s’y sentait mal à l’aise, presque ridicule. Le Nouvel Âge était en principe arrivé : les combats, les disputes étaient censés faire partie du passé. Allait-il être obligé de reprendre les armes à cause d’un simple malentendu, par la faute de deux imbéciles maladroits ? Pourquoi fallait-il que personne ne soit fichu de faire son travail correctement ?

— Ce n’est encore qu’un tout jeune homme à peine sorti de l’enfance. Il ne saurait être notre problème, seigneur. Nous devons identifier celui qu’il écoute et guider ainsi ses actions. Voilà la clef.

— Insistez simplement pour qu’il vienne vous voir. Il viendra. Les jeunes sont ainsi faits qu’ils commencent souvent par opposer la plus farouche résistance, du moins verbalement, et une fois qu’ils ont pu s’exprimer et que leur indépendance a été suffisamment établie à leurs yeux, ils acceptent, avec toute leur véhémence naturelle, de se rendre à la raison et d’adopter un point de vue plus adulte. Renouvelez votre invitation sous la forme d’un ordre. Obligez-le à rentrer au bercail. Une fois à Rasselle, confronté à votre autorité manifeste et à votre bonne volonté, toute l’affaire se réglera de façon satisfaisante.

— Il est également blessé dans son amour-propre, seigneur. Il a l’impatience de la jeunesse. Il sait bien qu’il sera roi le moment venu, mais il est à un âge où l’on ne voit pas toujours les raisons d’attendre. Nous devons donc transiger. Rencontrez-le à mi-chemin entre ici et les Chutes, à la limite de la région actuellement plongée dans l’ombre. Que cela soit un symbole de la nouvelle aube des excellentes relations entre vous.

— Allez à lui, seigneur. Montrez-lui l’indulgence dont savent faire preuve les puissants. Allez à lui sans être accompagné de dix hommes, ni même d’un. Tenez votre armée en réserve dans son campement, bien entendu, mais allez seul à sa rencontre, avec la simplicité et l’humilité de la justice et du droit qui sont de votre côté.

— Il se conduit comme un enfant. Punissez-le donc, seigneur. Les princes ont besoin de discipline tout autant que n’importe quel enfant. Plus encore, car ils sont trop souvent gâtés et il leur faut une correction régulière pour maintenir un bon équilibre entre l’indulgence et la rigueur. Hâtez-vous de vous rendre au Hyeng-zhar avec toutes vos troupes déployées en ordre de bataille. Il n’osera pas vous affronter, et quand bien même il l’envisagerait, il doit avoir autour de lui des esprits plus sages qui sauront l’en dissuader. Une simple démonstration de force règle ce genre d’affaire, seigneur. Toutes les fantaisies et les plans stupides s’évaporent lorsqu’ils y sont confrontés. Il vous suffit d’agir ainsi, et vos problèmes disparaîtront.

— Ils ont des hommes mais pas d’armes, seigneur. Vous possédez les deux. Contentez-vous de les montrer, et tout sera réglé. Les choses n’iront pas jusqu’au combat. Imposez votre volonté, refusez de passer pour un homme qui prend à la légère de telles accusations implicites. Vous êtes légitimement offensé d’être aussi injustement accusé. Montrez que vous ne tolérerez pas une telle insulte.

Tyl Loesp se tenait sur un balcon donnant sur les arbres du domaine royal qui entourait le Grand Palais de Rasselle. Ses doigts étaient crispés sur la balustrade qu’il semblait vouloir tordre entre ses mains tandis qu’il entendait derrière lui les clameurs de tous ceux qui prétendaient lui dire ce qu’il devait faire. Il se sentait acculé. Il se retourna pour leur faire face.

— Foise, dit-il en apercevant le général qui était arrivé du Hyeng-zhar seulement quelques heures plus tôt. (Ils s’étaient déjà vus, mais seulement le temps que Foise lui fasse un bref rapport.) Votre opinion.

— Seigneur, dit Foise en balayant du regard les hommes assemblés dans la salle.

La plupart étaient des militaires et des nobles sarles, mais il y avait aussi quelques nobles et hauts fonctionnaires deldeynes dignes de confiance, de ceux qui avaient toujours été favorables aux Sarles avant même que les deux peuples ne soient en guerre.

— Je n’ai pour l’instant pas entendu ici une parole qui ne soit pleine de sagesse, poursuivit Foise. (Il y eut de vigoureux hochements de tête et de nombreuses expressions de fausse modestie. Seuls ceux qui n’avaient pas encore pris la parole semblèrent peu impressionnés par cette remarque.) Cependant, il reste aussi vrai aujourd’hui qu’il l’a toujours été qu’on ne peut suivre tous les conseils à la fois. Je suggérerais donc, en gardant à l’esprit les informations les plus récentes que nous ayons à notre disposition, dont je suis l’humble porteur, que nous examinions ce que nous savons être la situation la plus pertinente concernant l’objet de nos délibérations.

Ces propos suscitèrent encore quelques hochements de tête approbateurs.

Tyl Loesp attendait encore d’entendre quelque chose d’intéressant, ou même de neuf, mais le simple fait d’écouter la voix de Foise semblait avoir apaisé quelque chose en lui. Il arrivait maintenant à respirer plus librement.

— Mais que nous suggéreriez-vous de faire, Foise ? demanda-t-il.

— Ce à quoi il ne s’attend pas, seigneur, répondit le général.

Tyl Loesp se sentit de nouveau pleinement maître de la situation.

Il adressa un sourire au groupe et haussa les épaules.

— Général, dit-il, il ne s’attend pas à ce que je rende les armes et que je reconnaisse que j’avais tort, comme quelque traître à l’âme noire. Mais je peux vous assurer que ce n’est pas ce que nous allons faire.

Ce qui souleva les rires.

Foise sourit lui aussi, comme en écho à l’expression de son supérieur.

— Bien sûr que non, seigneur. Je voulais dire que nous ne devons pas attendre, nous ne devons pas prendre le temps de rassembler nos forces. Attaquons maintenant. Ce que nous venons d’entendre sur la réaction du prince et de son entourage à une démonstration de force n’en restera pas moins vrai.

— Attaquer maintenant ? dit tyl Loesp en jetant de nouveau un coup d’œil vers les autres. (Prenant une pose théâtrale, il fit mine de scruter le paysage au loin.) Il ne me semble pas que le Prince Régent soit immédiatement disponible pour une telle stratégie.

Éclats de rire.

— Effectivement, seigneur, dit Foise sans se démonter. Mon idée est que vous formiez une force aérienne. Prenez autant d’hommes et d’armes que tous les caudes et les lyges disponibles dans la ville pourront porter, et volez jusqu’aux Chutes. Ils ne s’y attendent pas. Ils ne disposent pas des armes nécessaires pour repousser une attaque aérienne. Leurs…

— La région est plongée dans le noir ! fit remarquer l’un des militaires. Les animaux refuseront de voler !

— Ils voleront, répliqua calmement Foise. J’ai vu Oramen lui-même leur confier sa vie il y a seulement quelques jours. Demandez aux dresseurs. Il leur faudra peut-être un moment pour s’y habituer, mais c’est faisable.

— Les vents sont trop forts !

— Ils sont retombés ces derniers temps, dit Foise, et de toute façon, ils ne durent jamais plus d’un jour-court sans marquer une pause significative. (Foise se tourna vers tyl Loesp et écarta les mains en disant simplement :) C’est faisable, seigneur.

— Nous verrons bien, dit tyl Loesp. Lemitte, Uliast, ajouta-t-il en s’adressant à deux de ses généraux les plus pragmatiques. Faites le nécessaire.

— Seigneur.

— Seigneur.

 

*

* *

 

— Il prend donc le nom de Sans Nom, dit Savidius Savide. Notre cher ancêtre, cette relique sanctifiée, cet écho survivant d’un chœur puissant et glorieux de l’aube de tout ce qui est bon endosse la charge de cette cité consacrée à jamais de même que nous supportons la charge d’une longue absence. Vide éternellement présent ! Oh, combien cruel ! Une nuit nous a entourés qui a duré des déciéons. Le revers de l’ombre pour une moitié d’éternité ! Une nuit qui s’éclaire des lueurs de l’aube, enfin ! Ah ! Comme nous avons attendu ! Que tous se réjouissent ! Une autre partie de la grande communauté retrouve son intégrité. Ceux qui avaient pitié peuvent – non, doivent avec de bonnes raisons et des vœux en abondance se réjouir, se réjouir et se réjouir encore pour nous qui sommes réunis avec notre passé !

— C’est notre parent ! ajouta Kiu. Produisant tout, lui-même produit par cette naissance à travers la cité, détritus balayés, passé découvert, toutes railleries abandonnées, toute incrédulité dissipée.

Oramen n’avait jamais vu l’ambassadeur aussi excité, ni même aussi compréhensible.

— Sympathie, de nouveau ! s’écria Kiu. Pour ceux qui doutaient des Octes, qui nous méprisaient pour notre nom, Héritiers. Comme ils regretteront leur manque de foi en nous quand la nouvelle sera transportée, dans la joie, dans la vérité absolue, inébranlable, irréfutable, sur chaque étoile et chaque planète, habitat, et vaisseau de la grande lentille ! Que les Chutes soient silencieuses, figées dans une attente fébrile, dans le calme, dans une pause appropriée avant les immenses accords mélodieux marquant la célébration, l’épanouissement, l’accomplissement !

— Vous êtes vraiment si sûrs que ça qu’il est bien ce qu’il dit ? demanda Oramen.

Ils étaient toujours sur la plate-forme en face du carré gris clair sur la surface du Sarcophage, qui était peut-être une sorte de fenêtre. Oramen avait souhaité poursuivre la conversation ailleurs, mais les deux ambassadeurs octes refusaient de s’éloigner de la présence qui se trouvait dans le Sarcophage. Il avait donc dû se résoudre à accepter un compromis, en les emmenant tous les deux sur le bord de la plate-forme le plus éloigné – peut-être hors de portée de la fenêtre –, et en demandant aux autres de se retirer. Poatas et Leratiy n’étaient descendus que d’un étage, et encore, avec la plus grande réticence. Oramen parlait à voix basse dans l’espoir d’encourager les deux Octes à faire de même, mais en vain : ils semblaient extrêmement agités, enthousiastes, presque délirants.

Tous les deux étaient déjà allés se placer devant la fenêtre du Sarcophage pour vivre cette expérience personnellement. D’autres l’avaient fait également, en particulier Poatas et Leratiy. Tous disaient ressentir maintenant de la joie et de l’espoir, et non plus ce sentiment de perte et de désir nostalgique. Une sensation de libération euphorique emplissait ceux qui se tenaient ou qui flottaient là, en même temps qu’un désir d’être bientôt de nouveau complets.

— Bien sûr qu’il est ce qu’il dit ! Pourquoi autre chose ? se récria Savidius Savide. (La voix de l’alien semblait scandalisée qu’on pût exprimer le moindre doute.) Il est ce qu’il dit qu’il est. Cela a été présagé, cela est attendu. Qui doute d’une telle profondeur ?

— Vous vous attendiez à ça ? dit Oramen en regardant les deux Octes. Depuis combien de temps ?

— Toutes les vies que nous avons vécues, véritablement ! dit Kiu en agitant ses membres supérieurs.

— Comme ceci résonnera à jamais dans les temps futurs, ainsi l’attente a duré l’éternité non seulement des individus mais de nous-mêmes en tant qu’un, notre espèce, ajouta Savidius Savide.

— Mais à quel moment vous est-il venu l’idée que la réponse se trouvait ici, spécifiquement dans les Chutes ? demanda Oramen.

— Temps inconnu, lui dit Kiu.

— Informés, nous ne sommes pas, confirma Savidius Savide. Qui sait quelles leçons apprises, futurs prédits, données rassemblées, sur des chemins du temps plus anciens que nous-mêmes, nous en sommes sûrs, parcourus pour produire plans, stratégies, actions ? Pas moi.

— Ni, approuva Kiu.

Oramen vit que même si les Octes essayaient de lui fournir une réponse directe, il était peu probable qu’il la comprenne. Il n’avait plus qu’à s’y résigner.

— Les informations que vous avez transférées dans le Sans Nom à partir de l’Apprentisseur, dit-il en essayant une autre approche. Étaient-elles ce qu’on pourrait appeler… neutres en regard de ce que vous vous attendiez à découvrir ici ?

— Mieux que ! s’écria Kiu.

— Hésitation inutile, dit Savide. Lâcheté de manque blâmable de volonté, d’esprit de décision. Expulsion des susdites !

Trames
titlepage.xhtml
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html
Banks,Iain M.-[La Culture-7]Trames(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_042.html